JOURNAL DE IAN MCKELLEN
8 AOUT 2000

(Traduction Tsoo'Dzil)



Lorsque l'autre Sir Ian (c'est-à-dire Holm) est arrivé de Londres en mars, il était perturbé par le décalage horaire, mais cela ne modifia en rien son emploi du temps, les essayages de costume, de maquillage. Il allait d'un atelier à l'autre avec des pieds de Hobbit et une perruque de cheveux frisés. Ce jour-là, je tournais dans les studios de Wellington, juste à côté, et je l'emmenai avec moi pour le déjeuner. "C'est comment ici ?" m'a-t-il demandé, d'un air plutôt déprimé. Je lui ai répondu qu'il allait adorer, et en moins de vingt-quatre heures, il était d'accord avec moi. Un mois plus tard, il ne pouvait pas supporter l'idée de repartir, en jurant qu'il serait de retour en Nouvelle Zélande avant la fin du tournage. Ce n'est pas qu'il espérait que le rôle de Bilbon soit prolongé, mais il venait tout simplement de découvrir South Island (voir carte, ndt).

La Nouvelle Zélande pourrait étonner et enchanter n'importe qui susceptible de succomber au charme des paysages sauvages des Terres-du-Milieu.
Bien que je sois un adepte des zones urbaines, j'ai toujours été fasciné par l'eau et les montagnes, et particulièrement par le Lake District (la région des lacs) de l'Angleterre du Nord, mon pays natal. Il ne reste que très peu d'endroits dans cette région qui n'aient pas été marqués par la main de l'homme. Murs, clôtures, plantations, résidences secondaires et fermes sont visibles de toutes parts, même depuis les hauteurs, et le caractère de cet endroit s'en trouve marqué. En Nouvelle Zélande il y a réellement un pays sauvage resté vierge et on se sent submergé de manière spectaculaire et émouvante. Jusqu'au dernier millénaire, il n'y avait pas d'autres animaux que des oiseaux ici, et certains d'entre eux se sentaient tellement en sécurité qu'ils en oubliaient de voler, comme cette espèce kiwi en voie d'extinction, les moa (sortes d'oiseaux qui ne volent pas, ndt) qui peuvent atteindre la taille de 3,70 mètres. Les envahisseurs Maori et Européens ont apporté avec eux des rats, des chiens, des moutons bien sûr, des prédateurs de rongeurs, des hermines et des lapins, qui ont bouleversé l'équilibre de cette grande réserve d'oiseaux. Les premiers habitants mangeaient les moas, et se mangeaient également entre eux, d'après ce qu'on raconte. Les immigrants écossais, irlandais et anglais ont coupé les arbres indigènes les plus gros pour la construction et ont laissé leurs troupeaux de moutons en pâturage dans le bush. Mais l'écologie n'a pas été dévastée partout et dans la région des fjords de South Island ainsi que dans les forêts tropicales primitives, il existe un paradis inexploré et qui ne figurait encore récemment sur aucune carte.

Fjord de South Island

Les routes décentes sont juste assez nombreuses et certaines d'entre elles osent même offrir un accès aux rivières et aux pics. Il y a des pistes de randonnées reliant les sommets qui sont tellement populaires qu'il vous faut un permis. Je songe d'ailleurs à faire une de ces ballades quand le printemps arrivera. L'autre Ian a la même idée. L'Ile du Nord, où la population est concentrée à Wellington et à Auckland, ressemble plus à un endroit pour les loisirs, avec ses plages, ses sources d'eau chaude et ses parties de pêche. En général le climat y est plus chaud et les téléphones portables y fonctionnent. Malgré tout, chaque fois que j'aperçois un des ferry reliant les îles depuis ma fenêtre de Wellington, en partance pour une traversée de deux heures vers le sud à travers le détroit de Cook, qui sépare les îles du Nord et du Sud, j'envie ses passagers.

Les scènes concernant Bilbon ont toutes été tournées en studio et j'ai participé à trois d'entre elles. Gandalf a frappé à la porte ronde de Cul-de-Sac en janvier dernier. Peter Jackson a répondu hors caméra à la place de Bilbon "Allez-vous en !" et à ce moment-là, Kiran Shah (filmé de dos mais avec un masque de Ian Holm) m'a laissé entrer. Le tournage de cette scène n'a repris que deux mois plus tard, lorsque Ian Holm a fermé sa porte d'entrée derrière moi, à l'intérieur de son trou de Hobbit, dans le studio. Peter Jackson était conscient de la nécessité d'avoir les deux Ian ensemble à l'écran, plutôt que d'avoir trop recours aux doublures, grande ou petite. En plaçant Gandalf plus près de la caméra, Bilbon pouvait être rétréci, et nous pouvions nous regarder dans les yeux. Ian a un regard pénétrant et pétillant. Il est très observateur et pourtant il vous regarde comme s'il était le personnage. Et cette illusion que Bilbon est présent est complète chaque fois que la caméra tourne.

Ian ne se répète jamais dans le film, à chaque prise il est différent et pourtant toujours dans le personnage. C'est une approche audacieuse du rôle d'acteur, misant sur la spontanéité. La plupart d'entre nous, avec une idée claire de ce qu'on attend de nous, espèrent offrir une bonne prise pleine de vie et de crédibilité et si une deuxième prise est nécessaire pour des raisons techniques ("On la refait ! Rien à voir avec les acteurs !"), nous allons essayer de reproduire ce qu'on a trouvé bon lors du premier essai. Mais Ian n'est pas du tout comme ça, ce qui fait que la manière dont vous allez finalement voir Bilbon, n'avait pas été tenté auparavant. Il le fait pour la première fois au moment même où vous le voyez. Il appelle ça explorer le personnage comme à travers un kaléidoscope, laissant le metteur en scène ou l'éditeur faire le choix final parmi un large éventail de prises.

Cela vous force à réfléchir au côté limitatif d'un film. Peu importe le nombre de fois que vous voyez un film, la performance est définitive, que vous soyez devant l'écran d'une salle ou dans le siège d'un 747. En revanche, voir le même acteur plusieurs jours d'affilée sur une scène de théâtre, en partant du principe que son but n'est pas d'être un automate, vous risquez de découvrir, en même temps que lui, de nouvelles facettes d'un personnage. Ian Holm apporte l'expérience du théâtre "live" au cinéma, et de cette manière les boîtes contenant les bobines englobent un personnage de Bilbon "complet" jusqu'à ce que Peter Jackson fasse la sélection. Ian représente l'acteur, non pas comme une marionnette mais comme un outil au service du récit de l'histoire pour le metteur en scène.

Lors de la dernière scène avec Bilbon, Ian portait un masque en latex ridé et décharné, juste avant que Bilbon ne s'embarque en direction de l'Ouest, vers le pays où les gentils dans Tolkien finissent leur séjour en paix. C'était une expérience étrange parce que Galadriel était avec nous, alors que Cate Blanchett n'y était pas, une occasion pour la magie du cinéma de mettre en scène l'authentique Reine des Elfes qui part à la fin de l'histoire en compagnie de Bilbon et de Gandalf. Il était encore plus étrange de se rendre compte que cette scène finale, une fois achevée par les techniciens, ne sera pas sur les écrans avant trois ans ! On m'a montré la première scène de confrontation entre Gandalf et Bilbon à Cul-de- Sac, montée rapidement en attendant un doublage des dialogues destiné à supprimer les bruits extérieurs, et peut-être aussi quelques améliorations par des effets sonores, peut-être même de la musique. Et bien, je peux vous donner la première critique du Seigneur des Anneaux: "Bilbon est bien vivant, et si le reste des acteurs accomplit une performance aussi réussie que celle de Ian Holm, vous allez assister au film de votre vie."

Quand Ian reprit l'avion pour partir, tout le monde repartit également, lui à destination de Los Angeles pour la première de "Joe Goud's Secret" de Stanley Tucci, et l'équipe du film pour Ohakune, "là où commence l'aventure". La promesse de l'aventure semblait un peu audacieuse face à la carotte géante en plâtre symbolisant la principale source d'exportation de la ville. Une partie de l'année, les habitants de la région qui ne sont pas agriculteurs offrent aux visiteurs qui habitent sur place la possibilité de résider près des pentes de ski du Mont Ruapehu, le volcan en activité qui avait mis fin à toute économie en 1996, ensevelissant les champs de neige sous des roches en fusion. Cette démonstration spectaculaire de feu d'artifice est resté dans les souvenirs, à travers des albums de photos comme celui que Dale m'a montré, de derrière son bureau à la réception de l'hôtel Powderhorn. Nous sommes arrivés là hors saison, lorsque les bars d'après le ski sont barricadés avec des planches et les hôtels reconnaissants d'avoir, de manière inhabituelle, une clientèle qui n'a rien à voir avec des vacanciers, occupée toute la journée à travailler, et trop fatiguée pour veiller lors des courtes soirées. Et effectivement, après avoir vu les rush de la veille dans une petite salle de conférence attenante au restaurant, équipée d'un feu de cheminée, de bougies, de pizza à emporter et coca sans sucre ni caféine, j'étais chaque soir très heureux que ma chambre ne soit qu'à huit portes plus loin dans le corridor. Un dimanche j'ai eu le temps d'escalader les pentes les plus basses de la montagne dont les parties les plus hautes sont sacrées pour les Maori. Grimper au sommet est déconseillé, mais cependant j'ai été désolé de ne pas pouvoir participer à la randonnée organisée autour du bord du volcan. La plupart du temps, nous filmions sur les champs de lave plats qui entourent le Ruapehu et qui ne sont sacrés que pour l'armée de Nouvelle Zélande qui teste ici son artillerie, sans risquer de blesser quelqu'un.

Avertissement de l'armée néo-zélandaise
Pas besoin de traduction, ça a l'air suffisamment clair non ?





Le premier jour, nous avons été rassemblés sous une grande tente pour être informés par un officier supérieur, dont la jovialité n'arrivait pas à masquer la menace mortelle contenue dans son message, se résumant au fait que s'aventurer hors du périmètre du tournage du film pouvait se terminer par la perte d'une jambe ou de la vie. Ce paysage désolé est truffé d'obus qui n'ont pas explosé. Cependant on nous avait rassuré en nous affirmant que la portion de terrain sur laquelle on travaillait avait été minutieusement nettoyé et sécurisée. Malgré tout, l'arrivée sur le site dans l'obscurité du petit matin, guidés par la Croix du Sud dans un ciel d'encre, était déroutante. La piste partant de la route principale en direction des montagnes était fraîchement tracée, pleine de cailloux et indistincte. Nous pouvions pas rouler à plus de 15 km/heure, et après trente minutes passées à se demander si le prochain chaos allait être fatal, ça a été un réel soulagement de voir au loin la lueur bienvenue de notre équipe, les générateurs éclairant des visages familiers et tout notre attirail. Le moment de l'aube était spectaculaire, comme ils le sont toujours. Au milieu des séances de maquillage, nous sortions des caravanes pour regarder les sommets teintés de rose puis d'or à quelques kilomètres de là. J'étais chaque fois tellement impressionné que j'en ai oublié de prendre une photo. [Note du Webmaster (de McKellen): "J'en ai une !"]

Mont Ruapehu au soleil couchant
Et vous ne verrez pas le Mont Ruapehu dans le film. En effet, le filmer est également déconseillé (sacrilège pour les Maori, comme son escalade, ndt), et de toutes façons, nous tournions les scènes des derniers instants du voyage de la Compagnie, lorsque exténués et vidés, ils se préparent à affronter les forces du Mal en personne. Les tours de la place-forte de Mordor seront ajoutées numériquement, une maquette sera agrandie pour s'étendre derrière l'armée venue demander des comptes à Sauron.

Les membres de la Compagnie et les autres ont été assistés par une équipe de cascadeurs à cheval opposée aux forces masquées de l'armée Kiwi, venue gagner ici un peu d'argent comme figurants d'une armée à l'air horrible, trop heureux de pouvoir abandonner pour un temps le déminage.
 
 

FLASH DE DERNIERE MINUTE




En réponse à la question d'un journaliste, "Est-ce que c'était Gandalf empalé sur la roue ? Est-ce que cela représente sa mort ou bien est-il en train d'être torturé ?", Ian McKellen a répondu:

"Non, ce n'était pas moi, bien que j'étais en train de tourner hier à cet endroit. Ce n'est pas non plus Christopher Lee, comme certaines spéculations l'ont suggéré. D'ailleurs il est actuellement en Australie pour tourner le nouvel épisode de La Guerre des Etoiles".

Les photos concernant cette question se trouvent dans les news du 9 août.