JOURNAL DE IAN MCKELLEN
(THE GREY BOOK)

(Traduction Tsoo'Dzil)



25 janvier 2000

La Nouvelle Zélande est vraiment un pays sympathique pour les visiteurs qui viennent de ce qu’il est convenu d’appeler le pays "d’origine". On est si loin de chez soi, mais le language est le même et on peut toujours acheter des MARMITE et du chocolat Cadburry. La Reine figure toujours sur les billets de banque (même s’ils sont faits de plastique transparent, infroissables et lavables) et il est question d’un scandale à propos du prince Edward dans "Women’s Weekly" que même les publications anglaises équivalentes trouveraient trop poussé. Tout semble à moitié familier, avec un style de copinage qui fait la différence avec la réserve anglaise. Je me sens comme chez moi.

Je suis resté quelques jours à Cambridge dans le centre du nord de l’île, près de la joyeuse bonne humeur thermale des geysers et des sources sulfureuses, et également pas très loin de la péninsule de Coromandel où j’ai pagayé dans le sud pacifique le week-end dernier. La chaîne des îles genre Bali Hai n’a pas réussi à me détourner de la raison pour laquelle je suis ici: l’arrivée de Gandalf à Hobittebourg au début du film de Peter Jackson, Le Seigneur des Anneaux.

Nous sommes dans un endroit à une heure de vol au nord des studios Three Foot Six à Wellington. Le village a authentiquement vieilli depuis qu’il a été construit, il y a un an. Les fleurs ont eu le loisir de s’installer et de fleurir. Les capucines, les tournesols, les marguerites et des champs entiers de parcelles où le jardinage communal a produit des rangées de fruits et de légumes. Hobbitebourg ressemble à ce qu’elle doit être: bien adaptée et douillette. Elle a été bien remplie suivant une ligne incurvée de fermes, et entourée de petites collines vertes et d’agréables vallées. Les peupliers solitaires à l’horizon ont l’air d’avoir été placés là par le département d’art, mais ils n’en ont que l’air. On ne peut jamais être sûrs. La fumée qui s’élève des trous dans lesquels les hobbits vivent, est générée par des machines dans lesquelles brûle de l’huile. La porte principale de Cul-de-Sac à laquelle Gandalf a frappé la semaine dernière s’ouvre sur un espace à peine plus large que la caméra n’en a besoin. Les intérieurs sont installés, attendant notre retour la semaine prochaine dans les studios de Three Foot Six à Miramar, Wellington. Les produits en vente au Dragon Vert, juste de l’autre côté du pont qui vient du moulin dont la roue est actionnée électriquement, sont largement suffisants.

Entre chaque prise, je regardais la chèvre brouter un vrai chou, histoire de ruminer au soleil. Je m’étais abrité sous la grande tente de "Video City" où Peter Jackson examine chaque prise avec Victoria Sullivan qui supervise le script, la continuité et la précision du texte.

Je passe toutes mes journées occupées à travailler les scènes à bord du chariot chargé de feux d’artifice pour la "fête depuis longtemps attendue" de Bilbon. Le titre du roman, pour le premier chapitre, s’est faufilé dans la conversation entre Gandalf et Frodon. Aussi amusant que cela puisse être de guider Clyde (le cheval ?), amical, brun et de 13 mains de haut (la hauteur des chevaux dans le monde anglophone se mesure en mains) et de discuter avec Elijah Wood, la plupart du temps, je ne suis nulle part près de la caméra.

David Brunette (récemment diplômé en design par ordinateur) vient me chercher avant l’aube et m’emmène pendant les trente minutes nécessaires pour se rendre sur le site de tournage. Au moment où le soleil se lève, Rick Findlater (de Gold Coast en Australie) en est à peu près à la moitié de mes trois heures de maquillage, qui a été conçu par Peter Owen. Il a fallu trois tests d’écran pour les perfectionner.

Peter Jackson a garanti que c’était Tolkien qui dirigeait cette entreprise. C’est pourquoi en travaillant l’apparence de Gandalf, nous sommes revenus en arrière aux quelques lignes de description du roman. Nous sommes tombés d’accord sur le fait que l’illustration de couverture représentant Gandalf dans l’édition complète du Seigneur des Anneaux de HarperCollins avait beaucoup trop marqué notre imagination collective pour qu’on puisse l’ignorer. C’est John Howe qui l’a dessinée, et son influence, ainsi que celle de cet autre formidable illustrateur plein d’imagination qu’est Alan Lee, ont été fondamentales durant ces derniers dix-huit mois.

Durant le premier test, la barbe était trop longue et plutôt encombrante pour l’homme d’action qu’est Gandalf, qui est sans cesse en train de vagabonder, de chevaucher, et de changer d’endroit. Je ne voulais pas d’une barbe qui m’aurait gêné dans les scènes où il y a beaucoup de vent. Des visages étrangers m’ont lancé un regard depuis le miroir et renvoyé des figures hirsutes comme Shylock, Fagin, et Ben Gunn. Et même Raspoutine pendant un instant.

Pendant le deuxième test, la barbe a été soigneusement taillée par Peter Owen qui n’avait pas confiance en elle, ni d’ailleurs dans les favoris qui cachaient mes joues. Une fois qu’il a eu tout remis soigneusement en place, j’ai perçu l’étincelle de la sévérité du magicien. J’ai souri et j’ai testé un des regards pétillants de Gandalf, l’ami des Hobbits, qui admire leur esprit et leur sociabilité.

Peter Jackson a suggéré une moustache plus pendante. Et soudain j’ai eu l’air d’un sosie du gourou des Beatles, Maharishi.

 De la même manière, les sourcils, pour bien coller avec la description de Tolkien, ont été épaissis et raccourcis. Le vieux gourou était toujours là, mais il était désormais impossible de mettre un nom sur son visage. Pour finir, Ngila Dickson est venue mettre en place le chapeau pointu, bleu et gris sur la tête du magicien. De manière imprévue, je me suis souvenu de l’écharpe couleur d’argent qu’il porte dans le livre. D’une certaine manière il a été décidé de la laisser de côté. Jusqu’à ce que je regarde l’ensemble, je n’avais pas remarqué son absence. Et il y a là matière à réflexion: pourquoi un homme qui porte un chapeau large comme un parapluie et un manteau confortable aurait-il besoin d’une écharpe. Dans le livre, l’aventure commence en automne. Or nous filmons en plein été. Mises à part les conditions météorologiques, j’ai pensé qu’il aurait pu porter cette écharpe d’argent pour la même raison que son chapeau pointu, pour se déguiser. Le Gandalf qui vient visiter ses amis Bilbon et Frodon, transporte pas mal de choses dans ses poches. Il a déjà fallu que je vienne à bout de son staff, de ses caramels (?), de sa pipe, pourquoi pas une écharpe pour faire un peu de magie avec ?

C’est seulement lorsque Peter Jackson a été certain que Frances Walsh, Philippa Boyens (co-scénaristes), Alan Lee, Peter Owen et moi-même, étions satisfaits de l’image renvoyée après toutes ces différentes modifications, qu’il a donné son accord. C’est un metteur en scène qui aime bien partager les prises de décision. L’équipe des techniciens et des acteurs est assez nombreuse, mais nous sommes tous encouragés à faire des suggestions.

C’est impressionnant de voir comment New Line soutient une entreprise aussi excentrique. Ça ne fait pas assez longtemps que je suis là pour juger si Peter est une sorte de héros national, mais il devrait être ici avec Sir Edmund Hillary pour cette entreprise. Mise à part son audacieuse création artistique, il apporte du travail aux gens de la région, et attire une attention internationale sur son pays. Il dit que son film, qu’il compare à l’Everest, que c’est le plus important jamais entrepris, techniquement et d’un point de vue logistique. Et il n’est pas inconscient au point de penser qu’il aurait pu venir à bout de ces trois films tout seul. Nous faisons tous partie de son équipe.

Je suis arrivé sur le tournage alors qu’il avait commencé sans moi depuis trois mois. Je me sentais comme un nouveau à l’école, alors qu’ils se sont réunis dans la deuxième semaine de janvier. La séance a commencé par une projection des scènes qui avaient été faites jusque là, celles pour lesquelles l’ajout d’effets spéciaux trop poussés n’avait pas été nécessaire. On nous a projeté une vidéo dans une salle de cinéma à côté des ateliers de WETA, là où sont visionnées les scènes quotidiennes. La bande son était inégale. La musique était extraite d’autres films. Ensuite le public a commencé à se congratuler pour son dur travail jusqu’à ce que le film prenne le dessus et que dans un silence absolu les gens regardent mourir Boromir et les Hobbits pleurer lors de l’épisode de la chute de Gandalf dans sa lutte avec le Balrog. Peter avait fourni de la bière et du vin, mais j’ai arrêté de boire et à la place j’ai pris deux cotton candy et du pop-corn. Ensuite il y a eu une fête dans la maison de Barrie Osborne (producteur) et de sa partenaire Carol Kim (Production Manager). A la fin de soirée, Billy Boyd (Pippin) a réussi à me convaincre de le suivre pour descendre le long du tube que les pompiers utilisent pour descendre en urgence vers les voitures sur environ 6 mètres. Pourtant je n’étais même pas saoul.

Deux jours de plus à Hobbitebourg. La météo annonce un beau soleil qui va faire étinceler mon écharpe d’argent.

Sir Ian McKellen
25 janvier 2000