RÉPONSES DE IAN MCKELLEN
AUX MAILS DE SES VISITEURS

(Traduction Tsoo'Dzil)




3 Octobre 2000

Question: Les sites des admirateurs du Seigneur des Anneaux sont de plus en plus nombreux à exprimer leur inquiétude vis-à-vis de la manière présumée dont est traité le roman, à l'évidence un classique renommé, et je me demande si, à votre connaissance, un livre de cette dimension a jamais été adapté au cinéma de manière relativement fidèle ? Les Frères Karamasov, Guerre et Paix, Dune.... sont des exemples de films méconnaissables. Pourquoi filmer une grande histoire soutenue par des personnages exceptionnels... en changeant cette histoire et en modifiant ces personnages ?

Réponse: Je crois que le Seigneur des Anneaux est sans doute le scénario le plus fidèle qui ait jamais été écrit à partir d'un tel roman. Et ceci n'est pas seulement dû au fait que notre quatuor de scénaristes est totalement dévoué à l'original, et partagerait sans hésitation le même ressentiment que celui des autres admirateurs de Tolkien en cas de "mauvais traitement". Tolkien possède un avantage sur Dickens, Tostoï ou d'autres écrivains de romans épiques. Les fils conducteurs de son roman sont clairs et ne s'embarassent pas des à-côtés et des intrigues secondaires qui caractérisent les romans du XIXè siècle. Voilà pourquoi les principales étapes du voyage de La Compangie de l'Anneau sont intactes. D'un autre côté, même dans une version en trois parties, il y aura inévitablement des suppressions de personnages et aussi d'événements mais à mesure que l'histoire se révèle à l'écran et que les paysages sont dévoilés pour la première fois, on se rendra compte que peu de choses auront été omises.

Les admirateurs réellement fanatiques qui ont lu et relu les romans remarqueront sans doute chaque modification mais en se focalisant sur les moindres détails, ils risquent de passer à côté de l'essentiel. Le film de Peter Jackson n'a pas l'intention de rivaliser avec la suprématie du roman, pas plus d'ailleurs que les magnifiques illustrations du livre faites par John Howe, Alan Lee et d'autres, n'avaient l'intention de remplacer les descriptions littéraires de Tolkien. Les peintures, les dessins, les films d'animation et finalement le film en question participent tous à l'enrichissement de notre appréciation du Seigneur des Anneaux. Il suffit de voir à quel point les ventes du livre augmentent à mesure que la publicité pour le film faite par New Line Cinema se prépare.

Et à ce propos, la question qui revient le plus souvent dans les emails que je reçois vient de ce que l'adaptation des chefs d'oeuvre par un moyen ou par un autre existe depuis aussi longtemps que la littérature elle-même. La plupart des oeuvres théâtrales de Shakespeare sont en fait une ré-adaptation d'histoires, de poèmes ou de récits historiques. Lorsque je suis passé du rôle de Richard III au théâtre au même rôle au cinéma, j'étais déterminé à faire un bon film de manière à honorer une grande pièce de théâtre. Si j'avais conservé chaque scène et chaque ligne de texte de la pièce dans le film, le résultat aurait été médiocre. Throne of Blood (Trône de Sang ?) de Kurosawa, ma version favorite de l'histoire de Macbeth, déforme Shakespeare dans des effets spectaculaires. Malgré tout, la pièce qui l'a inspiré demeure intacte.

Question: En relisant la trilogie, je me suis demandé comment, dans La Compagnie de l'Anneau, serait restituée la scène du Conseil d'Elrond. En effet, il y a énormément de discussions dans cette scène et cela pourrait poser aux gens qui font le film, de sérieux problèmes, alors que dans le livre cela passe très bien.

Réponse: Votre commentaire rejoint admirablement les inquiétudes soulevées à propos de l'authenticité en question dans l'adaptation cinématographique. La plupart du contenu de cette réunion du Conseil d'Elrond reprend des informations décousues, par exemple le rapport de Gandalf sur les activités de Saroumane. Le film relate cette partie de l'histoire de manière plus adaptée pour le cinéma qu'un long monologue. La scène du Conseil, qui se tient dans une reconstitution parfaite de Fondcombe, fera l'objet d'un commentaire dans le Grey Book.

Question: Jusqu'à quel point l'action sera-t-elle différente dans les trois films de la trilogie ? Est-ce que l'un des films sera plus orienté vers les effets spéciaux et les scènes d'action que les autres ?

Réponse: Autant que je puisse en juger, le style de chaque film sera dépendant de la façon dont l'histoire de la Compagnie progresse. Je n'ai pas connaissance d'une intention quelconque de différencier le style de chacun des trois films.

Question: Tolkien avait en tête de créer une mythologie propre à l'Angleterre. Pensez-vous que ceci sera montré d'une manière quelconque dans les films, en même temps que l'aspect religieux qui l'accompagne ?

Réponse: Si Tolkien a jamais nourri l'espoir d'établir une mythologie anglaise, force est de reconnaître qu'il n'y est pas parvenu. Le Seigneur des Anneaux et les livres qui s'y rapportent sont renommés dans la littérature et sont des exemples majeurs de récits épiques. Mais Frodon et Gandalf n'ont pas encore rejoint Robin des Bois et le Roi Arthur dans l'imagination populaire. Il est possible que cela change avec la sortie des films de Jackson, qui sont, de manière ironique, écrits et tournés aussi loin de l'Angleterre qu'il était possible de le faire.

Question: J'ai été très heureux lorsque que vous avez démenti les rumeurs selon lesquelles Arwen devait se joindre à la Compagnie. Malgré tout, je ne suis pas sûr que vos commentaires englobent sa prétendue présence dans les Mines de la Moria ou non. J'espère que vous pouvez également confirmer qu'Arwen n'est pas impliquée dans les scènes de combat ?

Réponse: Je peux.

Question: Paul Scofield est un de mes acteurs préférés, et j'ai été particulièrement heureux lorsque vous avez dit qu'il aurait pu faire une bonne interprétation de Gandalf. J'ai beaucoup apprécié la prestation de Scofield dans son interprétation du roi français pein de noblesse mais vaincu et fatigué (Charles VI donc, ndt) dans Henri V de Kenneth Branagh. Après cela, j'ai toujours pensé que Scofield aurait été un excellent Denethor.

Réponse: Il était également inoubliable dans le rôle du fantôme du père de Hamlet, dans la version de Franco Zefirelli avec Mel Gibson. Ses succès les plus renommés à l'écran (et sur les scènes de théâtre) ont été Thomas Moore dans A Man of All Seasons (rôle pour lequel il a obtenu un oscar) et Le Roi Lear dans l'adaptation de Peter Brook. J'aurais aimé qu'un plus grand nombre de metteurs en scène puisse avoir connaissance de son travail, mais il s'est tenu à l'écart d'une carrière cinématographique. En tant qu'acteur britannique d'un certain âge, il travaille également de nos jours de manière irrégulière sur scène. Une performance de Scofield est un événement important. Quant au casting de Denethor, il n'a pour l'instant pas été annoncé (peut-être qu'à l'époque où Ian McKellen a écrit cette réponse, le casting de l'acteur australien John Noble, n'était pas encore connu, ndt).

Question: J'ai été contente d'apprendre que vous participiez à la Convention des Comics de San Diego lors de laquelle une nouvelle preview du Seigneur des Anneaux a été présentée. Mais comment nous, simples admirateurs, pouvons-nous espérer être informés de la sortie et de la présentation de ce genre de preview ? Je crois savoir que celle-ci était connue à l'avance, mais malheureusement cela se passait trop loin de chez moi. Combien de ces previews existent aujourd'hui ? Celle de 20 minutes, celle de 6 minutes, la preview internet: j'ai entendu dire qu'il en existait une de 45 minutes et maintenant la dernière dont il est question. Est-ce que c'est vrai ?

Réponse: Ce doit être particulièrement agaçant d'entendre parler de ces previews sans pouvoir y assister, à part celle d'internet qui a atteint près de 7 millions de téléchargement pendant la première semaine après sa sortie. Les autres previews ne sont pas destinées au grand public, mais aux éventuels distributeurs ou autres, que New Line Cinema doit impressionner et convaincre dans cette phase de production. Et en tant que telles, elles ont réussi de manière éclatante, même en l'absence de musique, de bande-son et d'effets spéciaux qui seront probablement intégrés dans la preview officielle de l'année prochaine.

Question: Cela a toujours été intéressant de remarquer que des milliers de lecteurs de la trilogie ont perçu Frodon et Aragorn comme des stéréotypes de Jésus et Gandalf comme une représentation de "Dieu". Tolkien (tout en étant catholique) s'est toujours fortement insurgé contre de telles comparaisons (et je suis d'accord avec lui), mais je me demandais si Mr Jackson avait l'intention de restituer un quelconque "thème chrétien" dans ces histoires ?

Réponse: Dans une mythologie aussi important et détaillée que celle de Tolkien, l'interprétation est inévitable. Le mythe contenu dans son oeuvre néanmoins est plus dense qu'une métaphore. D'où probablement le démenti du créateur de l'oeuvre. Si les lecteurs veulent redécrouvrir leur propre religion dans les personnages de la Compagnie, pourquoi pas ? Il serait très possible que les gens qui font le film aient la même attitude, mais je ne vois aucun signe que Peter Jackson les entraîne dans cette direction. Comme ses prédécesseurs qui ont illustré le Seigneur des Anneaux sur papier, ses images sur la pellicule sont dessinées très étroitement à partir des descriptions de Tolkien et de sa manière de peindre avec des mots.

L'interprétation est dans la vision du spectateur.

Question: Etant socialiste, on me demande parfois pourquoi je perds mon temps à lire Le Seigneur des Anneaux qui, selon mes interlocuteurs, est une oeuvre faisant l'apologie de la monarchie, du mysticisme, du chauvinisme mâle, tournée vers la supériorité ethnique (pour ne pas dire carrément raciste) et l'élitisme. Mais j'ai toujours abordé ce roman dans ce qu'il a de progressiste, par exemple les "petites gens" renversant les puissants, le personnage d'Eowyn étouffant dans la société patriarcale des Rohirrim, la forêt personnifiée se soulevant contre les destructeurs de l'environnement, le besoin qu'éprouvent les gens de toutes les races de s'unir et de travailler ensemble, l'amour naturel et dépourvu de besoin de se justifier entre Frodon et Sam (et ce, malgré les protestations de Tolkien envers des allégations d'homosexualité dans leurs relations), les horreurs de la guerre, la nuisance du développement industriel (en référence à Saroumane et alors que les Nains fournissent un exemple d'industrialisation bénéfique, basée sur la prévenance et l'attention), la mesquinerie de la cruauté, l'importance de la compassion, la découverte de l'endurance à travers l'espoir. Cette dernière caractéristique est citée dans le Silmarillion à propos de Gandalf. Et j'en suis arrivé à voir Gandalf comme une sorte d'activiste par excellence. Travaillant sans relâche à la préparation des batailles à venir. Voyageant ici et là, partout où on a besoin de lui. Evaluant l'équilibre entre les forces. Fatiguant mais continuant à combattre malgré les circonstances et les sacrifices.

En tant qu'activiste vous-même, avez-vous déjà perçu Gandalf de cette manière ? Et auquel cas, essayez-vous de faire apparaître cette vision dans votre manière de jouer le rôle ? Voyez-vous le Seigneur des Anneaux comme une oeuvre progressiste ? ou comme une oeuvre romantique réactionnaire ? Ou les deux ?

Solidairement.

Réponse: Votre analyse est fascinante et aurait dû convaincre vos amis qui sont peu impressionnés par l'éternelle lutte entre le bien et le mal. Gandalf, un activiste ? Il est certain qu'il mène un combat pour modifier l'ordre des choses mais à l'inverse des activistes que je connais, il n'est pas forcément en conflit avec les forces au pouvoir, d'ailleurs souvent il les met de son côté. Il est en même un leader dans son domaine de connaissance et un travailleur sur le terrain.

Question: Pensez-vous que je devrais lire le Seigneur des Anneaux avant de le voir au cinéma ? Je ne sais vraiment rien à son sujet.

Réponse: Je dois dire que je n'ai aucune connaissance de vos goûts en matière de lecture. Le roman est long mais de très nombreuses personnes l'ont lu de très nombreuses fois. Certains d'entre eux, il faut l'admettre, n'arrivent pas à y entrer. Comme cela a été dit: "Le monde se divise en deux: ceux qui ont lu Le Seigneur des Anneaux, et ceux qui ont l'intention de le lire". Si vous êtes sûr de voir le premier film, je pense que vous serez tellement enthousiasmé et pris par l'aventure que vous ne serez pas capable d'attendre le deuxième et le troisième film qui complètent l'histoire. Peut-être alors serait-ce le meilleur moment pour commencer à lire les romans. En tout état de cause, quelle que soit la période où vous les lirez, vous ne le regretterez pas.

Question: 1- Est-ce que Legolas porte un arc dans le film ? Dans la preview sur internet on le voit maniant une épée. 2- Quel est votre personnage préféré dans le livre et pourquoi ?

Réponse: 1- Orlando Bloom a vraiment l'air d'un archer expert et son personnage de Legolas a toujours son arc prêt avec un carquois en cuir rempli de flèches dans son dos. 2- Je crois que j'ai besoin d'un peu de temps pour réfléchir à cette question...