EXTRAITS D'INTERVIEW DE SEAN ASTIN

(Traduction Tsoo'Dzil)

9 Octobre 2000
Staff Reporter

Sean Astin est assis derrière une petite table dans sa caravane sur le parking des studios du film Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson, s'excusant pour les gros pieds de hobbits encombrants et couverts de terre qui se trouvent dans le passage. Il interrompt la version en noir et blanc d'Othello de Orson Welles qu'il était en train de regarder sur sa petite télévision, et maintenant, entouré d'un plateau de sushi, d'un ordinateur portable, d'un téléphone cellulaire et d'un livre de Kevin Brownlow, il est prêt à faire quelque chose qu'il aime particulièrement: parler.

La vie de Astin est arrivée à un stade où tout va bien. Il est de bonne humeur mais il est également fatigué, comme beaucoup d'autres gens qui travaillent dans les studios du Seigneur des Anneaux. "Nous avons travaillé comme des esclaves pendant un sacré bout de temps sur ce film" soupire-t-il. "Je veux dire, des escalves consentants, mais ça a réellement été un travail très dur. Je crois que quand vous faites un film et que vous construisez un personnage, c'est un peu comme un marathon arstistique."

Astin n'est pas un débutant face à la tâche difficile du tournage. Le fils des acteurs Patty Duke (Valley of the Dolls) et John Astin (Gomez dans La Famille Adams) a passé 19 de ses 29 années à travailler dans l'industrie cinématographique. Quand on lui demande si sa carrière n'est pas simplement l'aboutissement logique du métier de ses parents, il évoque l'hypothèse saugrenue que si sa mère avait été habilleuse, il serait peut-être aujourd'hui en train de donner une interview sur ses tentatives pour influencer les dernières tendances de la mode à Paris. Mais en fait, une carrière dans le cinéma lui va parfaitement. Alors qu'on se souvient mieux de lui dans ses premiers rôles comme Mickey Walsh dans Les Goonies, ses apparitions dans les génériques révèlent un acteur reconnu pour son talent. Vingt-trois films pendant presque autant d'années et un rôle de metteur en scène dans un court-métrage qui a obtenu une nomination à l'Academy témoigne de ce dévouement.

"Je me rappelle de ce jour où l'Academy avait organisé un brunch pour les nominés" se souvient Astin. "Ce jour-là tout le monde vient et croit qu'il a gagné parce qu'à la cérémonie actuelle des récompenses, il y a au moins quatre ou cinq personnes dans chaque catégorie qui repartent chez eux en ayant le sentiment d'être des losers."

Kangaroo Court, le court-métrage qu'il a dirigé en 1994 et qui a été nominé pour un oscar est quelque chose dont Astin est très fier. Une histoire dramatique et saisissante qui montre les différentes facettes de la justice, c'est le genre de film que Astin considère comme digne d'avoir été fait, même sans reconnaissance officielle.

Pour Astin, faire des choix sur les films qu'on lui proposait a souvent signifié mettre dans la balance son désir à l'encontre de ses préférences dans le but d'être associé à un travail qu'il estimait à une certaine valeur. Il l'admet lui-même, il a souvent accepté des rôle dans l'unique perspective d'être payé. Après avoir refusé un rôle dans un film qui n'est pas encore sorti, parce que le potentiel du script n'a pas été exploité, Astin a été à nouveau contacté et a reconsidéré la proposition. "Je me suis dit: pour quatre semaines de tournage, une telle somme d'argent me laisserait six mois de plus pour chercher n'importe quel projet "réellement" artistique."

Difficile de concilier ce côté de Astin, pragmatique, avec l'autre, à la figure de Hobbit, qui laisse constamment ses phrases en suspens pour digresser vers un autre sujet qui le passionne. Mais des années dans le milieu ont donné à Astin des perspectives. Alors qu'il reconnaît aux films à gros budget le pouvoir d'ouvrir certaines portes, Astin reste philosophe vis-à-vis de certains de ses films dont on ne peut pas vraiment dire qu'ils aient battu des records au box-office d'Hollywood.

"C'est marrant" dit-il, "il y a comme une sorte de schéma qui se dessine. Les films sur lesquels j'ai pris le plus de plaisir à travailler sont ceux qui n'ont été vus ou appréciés que par un minimum de gens. Il y a là quelque chose de très dangereux, qui arrive lorsque vous commencez à essayer d'anticiper sur ce que les gens vont croire que vous êtes en train de faire."

Le rôle-clef de Astin dans le Seigneur des Anneaux pourrait fort bien le propulser à un niveau d'où il pourrait alors se permettre de ne travailler que sur les projets qui lui plaisent. Malgré tout, le métier d'acteur n'est qu'une facette de ce personnage à la vie bien remplie.

A 22 ans, au beau milieu d'une cérémonie de récompenses pour des rôles dans les publicités, Astin prit la décision d'obtenir un diplôme universitaire. "Quelqu'un m'a demandé ce que j'allais faire après ça, et à ce moment là j'aurais pu essayer d'utiliser ma nomination pour négocier quelque chose, ou faire des films ou n'importe quoi d'autre. Mais je ne voulais pas mettre la charrue avant les boeufs et j'ai répondu: je vais aller à l'université."

C'est ainsi qu'il s'incrivit à UCLA, où il obtint deux diplômes, en Histoire et en Anglais, avec mention. Et il continua à tourner pendant ses études. Sa femme Christine suivait les mêmes cours et quand il ne pouvait pas y assister elle enregistrait les cours pour qu'il puisse en profiter. Christine indique que d'une certaine manière c'était agaçant qu'à partir de notes qu'elle avait prises et d'enregistrement de cours, il retourne à l'université et réussisse les examens. Astin approuve en riant. "La différence entre un A et un B réside dans la capacité d'être un lèche-cul. Mais ce n'est pas possible de cirer les pompes du prof rien que pour le plaisir de faire de la lèche. Il doit y avoir quelque chose d'authentique dans la motivation de le faire."

Après l'obtention de ses diplômes, le moment était venu de faire le bilan. "J'avais déjà eu une carrière parce que j'avais été acteur depuis que j'étais un enfant, mais c'était toujours parce que je tirais avantage des occasions qui se présentaient. Mais à ce moment, je me souviens avoir ressenti qu'il n'y avait nulle part où je me sentais à ma place. Je n'avais pas de cours en prévision. Je n'avais pas de boulot. J'avais seulement une femme et un enfant et quelques connaissances. Et cette sensation était une source d'inspiration. Je regardais le monde comme depuis l'intérieur d'une huître. Je pouvais en faire ce que je voulais."

A partir de là, il créa sa propre entreprise de films, Lava Entertainment, mais il poursuivit aussi sa carrière d'acteur, avec divers rôles, principaux et secondaires, dont un dans Bulworth, la satire politique de Warren Beaty. Il poursuivit également sa passion d'écrire.

Maintenant à 29 ans, Astin est le père d'une petite fille de quatre ans, Alexandra, il est marié avec Christine depuis huit ans. Il dit qu'il n'a jamais essayé de compartimenter sa vie..... Pour lui, séparer le travail et la famille, ou son travail et sa vie, est impossible. Et le premier exemple d'impossibilité de séparer les deux est la longueur du projet du Seigneur des Anneaux. A la fin du tournage, Astin aura passé presque un an et demi en Nouvelle-Zélande. La seule condition qu'il avait posé avant d'accepter le rôle de Sam était que sa famille puisse être avec lui. "Essayer de mettre ma vie entre parenthèses pendant que je travaillais aurait abouti à ne pas vivre du tout."

La famille d'Astin s'est trouvée transplantée en Nouvelle-Zélande, de manière provisoire mais suffisamment significative. Christine, qui est co-productrice de Kangaroo Court, fait partie de l'équipe du Seigneur des Anneaux. Et après plusieurs essais de résidence à l'hôtel ou en appartement lorsqu'ils sont arrivés, ils ont maintenant une maison sur les hauteurs de Wellington, et Alexandra va à l'école maternelle locale de Montessori.

Malgré la perspective des bouleversements à venir, lorsque la proposition du rôle dans Le Seigneur des Anneaux arriva, Astin n'hésita pas un instant. A l'origine c'est le nom de Peter Jackson et non la trilogie de Tolkien, qui l'a entraîné dans le projet. Il avait entendu parler des livres, mais ne les avait pas lus. D'un autre côté il connaissait Jackson parce que ce dernier avait dirigé son père (John Astin) dans The Frighteners. Astin avait également été impressionné par ce qu'il avait vu de la parodie de documentaire de Jackson, Forgotten Silver. "Mon père m'avait montré le "documentaire" et je me suis dit: on devrait montrer ça à CBS et à CNN. Ca va changer le cours de l'histoire."  Mon père s'est mis à rire et je me suis dit: merde, c'est une connerie, n'empêche que le réalisateur a un sacré talent."

Depuis le début, Astin était destiné à jouer le rôle de Sam. Dès que Jackson a vu l'audition de Astin, il a su que l'acteur américain était la personnification idéale du hobbit au grand coeur selon Tolkien. "Pendant que je lisais les livres, je faisais particulièrement attention au personnage de Sam bien sûr. Il possède une chaleur, une honnêteté, l'essence pure du bon caractère. C'est comme ça qu'il est dans les livres, et c'est comme ça qu'il sera dans les films. Il est une sorte de baromètre qui mesure l'aventure, le mal. Sam possède un compas moral inaltérable. Il sait à tout moment qui il est. Alors que tous les autres personnages, avec les complexités qui leurs sont propres, changent et évoluent, réussissent ou échouent, Sam reste seulement... l'image du bien. Il atteint à la fin de la trilogie un niveau d'expérience qu'il n'avait pas au début et cela nous renseigne sur sa bonté. Cela rend même cette bonté encore plus admirable. C'est facile d'être naïf, innocent et bon, mais c'est une autre affaire que d'avoir été pris dans le tourbillon de la guerre, et d'avoir gardé un coeur intact malgré les épreuves et les souffrances."

"Malgré le fait que tout le monde ait beaucoup de talent, il y a une ambiance super, enjouée, entre tous ces gens dont le travail mérite tellement le respect qu'on a envie de mettre ses plus beaux habits pour le dîner et d'avoir un comportement exemplaire. Je me souviens que pendant qu'on tournait au col de Caradhras, alors qu'on était coincés dans la tempête de neige, il y avait du blizzard et une avalanche, il y avait Ian McKellen, Sean Bean, Viggo, Elijah et moi et on travaillait avec toute cette fausse neige, on en respirait et on s'étranglait avec. Et tout d'un coup on s'est mis à faire une bataille de fausses boules de neige. A ce moment-là, j'ai pris une sorte de cliché mental et j'ai pensé: voilà un groupe de gens dont le travail est admiré dans le monde entier et on se comporte comme si on était des enfants à l'école."

En regardant Astin, ce scénario n'est pas dur à imaginer. Une sorte de ferveur enfantine ressort de ses propos à mesure qu'il se remémore ces épisodes du tournage avec les autres acteurs. D'après lui, Jackson a été plus loin que le simple fait de choisir des acteurs qui rendraient justice au livre, il a également choisi un groupe de gens qui s'entendaient parfaitement.

La plupart des autres vedettes du film ont également signé pour un gros investissement personnel. Avec des horaires de tournage dans le genre douze heures par jour, six jours par semaine, ils se retrouvent les uns par rapports aux autres dans une intimité pratiquement à plein temps. Et on dirait que Jackson a fait le bon choix en ce qui concerne la compatibilité des caractères.

......

Astin n'a pas vraiment de projet en ce qui concerne l'avenir après Le Seigneur des Anneaux. Il aimerait essayer un western. Ou ça ne lui déplairait pas d'essayer de jouer un rôle de méchant. Il aimerait aussi étudier la possiblité de réaliser une de ses idées de scénarios. En fait, il va probablement rentrer chez lui après le film et tâcher de replacer sa famille dans une certaine stabilité.

En d'autres termes, Astin aurait besoin d'une durée de vie semblable à celle des Hobbits. "J'espère vivre longtemps" conclue-t-il, "j'espère aller jusqu'à cent ans, et travailler le plus possible pendant les soixante-dix ans et quelques qui restent."